La fée verte

Comme Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, je suis un poète, un artiste, un être ensorcelé par cette fée verte qui m’obsède. À chacune des goûtes déversées au rebord de mes lèvres, un instant de bonheur se lie à mon quotidien macabre. Ma plume muette se trempe dans l’encre de mes pensées et je quitte vers un univers où… 

Je savoure.

Je suis dans l’espace. Je flotte au beau milieu de l’infini. Les astres gravitent autour de moi, comme si l’attraction appliquée normalement au soleil, s’était transposée en mon être fragile. Je vis dans un rêve, où les éclats de lumière me parviennent de tous cotés. Je suis léger et libre à la fois. Enfin, je suis dans un monde qui est le mien, où la pesanteur de l’âme s’allège. Seul dans ma tête, libéré de mon cœur épuisé. Je ne réfléchis plus, rien ne m’importe, sinon l’état de bien-être qui m’extasie. 

Je déguste. 

Des tourbillons de couleurs apparaissent sous mes yeux, le vert s’entremêle au bleu qui s’évapore dans une mare de rouge explosée de jaune serin. Cette trombe colorée m’habille de ses teintes éclatantes. Je suis soulevé par la venue d’une vague gigantesque qui me berce au sein de cette fantaisie.

Je me gorge.

La mélodie qui joue, cette symphonie qui s’accentue à chaque lueur me fait vibrer. Mon corps tout entier désire ardemment rester au centre de cette constellation, je ne veux plus vivre sans cette enveloppante pureté. À chaque note émise, mes membres s’allègent de plus en plus, je me sens devenir aussitôt une plume. Je me laisse entraîner par cette ambiance rythmée. Je ne veux pas me contenir, le do me fait frissonner suivi du ré enjôleur et de ce mi cajoleur, tous provoquent un fa encore plus ensorceleur que le chant des sirènes. 

Je buvote. 

Tout ce paysage est réel. Même si je crois fantasmer, les sons, les couleurs, le feu qui habitent ce lieu, ne peuvent pas être que le fruit de mon imagination si peu fertile. Mon subconscient ne peut pas m’emmener aussi loin, là, où le mot paisible trouve tout son sens. 

J’engloutis. 

 Je fige. Je suis hypnotisé par tant de splendeurs. Toutes ces formes rondes, alléchantes, savoureuses, comme celles d’une femme, dominent mon regard ébahi. Tous ces traits excentriques, qui me mènent vers de nouvelles découvertes artistiques, m’émerveillent. La scène est instable, le décor l’est tout autant. 

Je sirote. 

Je ressens la délicatesse d’une douce brise effleurer mon visage. Ce même fil m’élève au-dessus de tout, le monde n’existe plus, seuls ma spiritualité et mes espoirs franchissent le mur implacable de cette gracieuse portée. Un tourbillon de souvenirs me met en transe. Chaque instant mémorisé : un sourire, un baiser, une caresse, un orgasme, semblent s’emparer de mon esprit. Une jouissance inouïe, indescriptible me percute. 

Je trinque. 

Chacun des chemins formés par tous ces déploiements interstellaires me subjugue. Ici, je vois des féeries que l’homme, aussi brillant soit-il, ne peut féconder. Personne ne peut se douter à quel point toutes ces somptuosités, ces joyaux, ces poésies qui défilent devant moi, sont angéliques. 

Je goûte. 

Je ne crois pas en Dieu mais au Paradis, si. Suis-je au ciel? Celui où ma mort y retrouvera la vie? Suis-je mort? Notre fin se résume-t-elle, essentiellement, en un paysage aussi fabuleux? Ou bien est-ce uniquement mon Eldorado qui trône, qui règne, qui triomphe au sommet d’harmonies? Existe-t-il vraiment ce monde où je peux profiter de chaque moment, où mes souhaits sont instantanément exaucés? Cette atmosphère sera-t-elle la défunte demeure de mon âme?

J’étanche ma soif. 

 Endommagée par tous ces questionnements, la quiétude qui ensorcelle ma pensée commence à tranquillement se dissiper. L’ivresse, l’exaltation qui me soûlent, dépérissent lentement. Mon regard change peu à peu, il s’assombrit dans la noirceur de cette parade désertée. Mon équilibre chavire et trébuche en raison de cette maladresse qui possède dorénavant mon entité. Je me suis perdu dans l’antre de mes abus.

J’absorbe. 

Je suis seul. Rien, mis à part les diamants ternes qui se souillent autour de moi. Mon infini s’est transformé en une cloison étanche, où mes visions n’ont plus leur place. L’attraction, jadis captivante, s’avère être un fardeau insoutenable. La légèreté qui s’était emparée de mon âme retrouve son poids monotone. La révolte des météorites me donne des nausées. 

Je picole. 

Les couleurs si vives, qui maintenant ne me séduisent plus, s’estompent et me contournent sans même m’éclabousser un tant soit peu. Le rouge s’engouffre dans les trous noirs. Le bleu est étouffé par le vert et le jaune serin, qui n’en finissent plus de tournoyer alentour de mon corps, perdu dans cette bataille. Les courbes généreuses se fondent et retrouvent leur squelette, un amas d’os ravagés par l’agitation des comètes tourmentées. Plus aucune ligne ne retrace sa route, son sens, sa direction. Une perte totale de la perfection s’entreprend peu à peu. Je suis perdu, seul dans mon Eden. Ou bien mon enfer. 

J’inonde. 

La vague, qui me faisait traverser les Mers et les Océans, me laisse échouer sur une plage aride, où, le sable si fin, se transforme en un amoncellement de roches rugueuses. Seule l’écume, reste en souvenir de cet élan musical. L’écho des notes faibles résonne à présent à mes oreilles. La gamme entière est désaccordée comme mes membres qui ne savent plus quoi faire. Je suis dans une cacophonie effroyable, les violons et les flûtes ne s’accordent plus, la guitare fait la guerre aux cymbales. Mon crâne veut se fracasser, ce vacarme m’étourdit. 

Je vide. 

Qu’est devenu mon monde unique? Tout s’est éteint. La flamme qui éclairait toute cette mise en scène est aspirée par le courant d’air froid qui, autrefois me caressait tièdement le visage. Je dois retrouver la clef, je dois m’évader à nouveau, mon spleen tente de refaire surface, de reprendre sa place.

J’entame.

Elle traverse ma chair, s’infiltre dans mon sang. Mon élixir parcourt mes entrailles entremêlées de mes veines assoiffées. Cette douce potion chavire mon être. J’enflamme ce cube de sucre qui coule délicatement dans cette liqueur des dieux. Je crée ma propre ambroisie en allumant cette boisson verdâtre. Je peux sentir les effluves de cette Thuyone épicée. Le rituel qui entoure la dégustation de ce mélange me fait remercier la visite de la fée verte. Le ravissement gustatif que ce nectar propose à mes lèvres, me pousse à en réclamer encore et encore…

Maude Racicot

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