REPÈRE



Assise confortablement, adossée au mur, j’observe. Guidée par les bruits qui m’entourent, je me mets à songer à l’espace que tu occupes dans mon appartement, dans ma vie. Le ronflement de mon mari est constant et me donne un rythme qui m’est dur de contredire, par l’éclat sonore que celui-ci émet. Un niveau de décibels, qui me semble pratiquement inhumain, s’échappe de sa bouche. Le bruit des automobiles dans la rue cesse peu à peu. Quelques voitures de police font retentir leurs sirènes pour accéder plus vite au vert. Tu as été bâti dans les années 1800, ou peut-être 1900, je n’en sais rien, mais tes rhumatismes sont bruyants, surtout en soir de grands vents. La branche grafigne ta fenêtre tandis que la neige la réconforte.

Un grand six et demi et pourtant tu es la plus petite de toutes les pièces. Tu es la plus recluse, mais aussi la plus adorable. Dès que l’on tourne ta poignée on ressent la maladresse des lieux. Le métal d’antan est dissimulé sous la peinture craquelée trop usée. À ceci, s’ajoute ta porte qui ne ferme pas complètement, emprisonnée dans un cadre trop petit pour son imposante carrure. Les moulures, qui sculptent le motif dans son bois, ne sont pas parallèles de sorte qu’on se croirait dans un film expressionniste, où tout est à la démesure. Et puis, pour compléter le tout, un « M », de couleur champs de lavande, saupoudré de brillants dorés, se tient bien fier au centre de cette dernière. Déjà simplement en entrant en toi, on peut sentir que tu es spéciale, pour ne pas dire étrange.

Au premier pas fait, ton plancher crie de douleurs. Tes lattes de bois franc, écorchées par les griffes de chiens mal aiguisées, les chaussures à talons hauts effrités, et surtout par le manque de vernis qui te fait rayonner à certains endroits et te rend terne à d’autres. Tes planches courtes, sont marquées par de jolis nœuds dans le bois et la teinte s’en retrouve marbrée, non seulement par le vernis épuisé, mais aussi par le naturel de son identité.

Je lève les yeux et si l’on pouvait lire les lignes de tes murs, comme on lit les histoires dans les lignes d’une main, tes parois en auraient tant à raconter. Croches, comme la colonne vertébrale d’un octogénaire, on voit qu’ils ont travaillé et ont traversé toutes les températures. Par conséquent, tes cloisons sont calfeutrées de plâtre mal étendu, afin de couvrir ces fissures, peut-être même ces blessures du temps qui a passé. Ils sont peints d’un beige ordinaire. Ne t’offense pas, tes murs sont beiges, couleur chaude qui nous rappelle le sable d’Hawaii, couleur sans éclat, couleur calme, beige ordinaire, c’est tout. Sur l’une de tes quatre façades, se présente un calorifère qui respecte le style usé et une fenêtre juste au-dessus, se dessine.

La fenêtre est la raison pour laquelle je t’ai choisie d’entre les deux autres chambres qui m’étaient offertes. Elle donne sur la ruelle, où les enfants dansent, chantent, ont le cœur brisé. Elle est aussi un puits de lumière en plein jour et une veilleuse la nuit. En ce moment, la fine toile de lin qui la recouvre habituellement, est absente, ainsi la lune et les étoiles me guident dans la noirceur. Normalement, le noir profond de la nuit éveille en moi ces histoires de monstres dans le placard, mais le confort que tu m’offres, me fait réaliser que cette sombre atmosphère est un oreiller sur lequel je peux déguster mes rêves et savourer mes cauchemars.

En plus, non seulement ton architecture te donne du caractère, mais les meubles qui y habitent sont aussi promoteurs de ton charme. Tout d’abord, une chaise du dix-neuvième siècle nous accueille à quelques pieds de la porte. Vêtue d’un coussin en velours doré et matelassé, cette antiquité, travaillée dans un bois d’ébène, a de la gueule et embrasse ton style. Juste à côté d’elle se trouve la philosophie, l’architecture, la musique, la mode, la littérature, les mathématiques, tous entassées dans une bibliothèque qui déborde. Son matériau, qui correspond exactement à celui de la chaise centenaire se lie aisément au mobilier, puisqu’il n’est pas parfait, égratigné, éméché. 

Après ce tableau, lecteur, je crois qu’il m’est alors inévitable de te décrire l’ambiance qui règne dans ma chambre. L’odeur y est agréable puisqu’une gentille brise se déclenche lorsque tu ouvres la porte. En effet, une douce fragrance de pomme verte et de froid parcourt tes orifices nasaux. Oui, le froid, ou devrais-je dire la fraicheur, celle qui te plait tant lorsqu’un matin d’été tu sors pour voir la rosée perlée sur les feuilles. Tu connais cette odeur qui fait que le gazon nous rafraichit les pieds quand tu vas chercher ton journal le matin. Cette fraicheur et ce fruit aromatisent l’ensemble de la pièce et dès lors, tu te sens tellement calme, apaisé. Tu sais, cet endroit est un de ceux dans lesquels tu peux simplement avoir le regard fixe au plafond, sans plus, hypnotisé par le ventilateur qui tourne et qui tourne, sans arrêt.

Enfin, ma chambre est réellement un paradis sur terre. Tout est possible en ces lieux. La musique y joue toutes ses notes sans retenue, les livres tapissent le plancher de mots, de titres qui inspirent mon sommeil, la porte qui ne ferme pas complètement laisse transparaitre un contour lumineux, presque magique. L’odeur berce les sens. C’est aussi dans cette chambre que je me transforme de matins en matins en exploratrice, en faisant toujours de nouvelles découvertes oubliées dans les fins fonds de ma garde-robe. Elle laisse place à des discussions sans fin, à des rencontres sans lendemain, à des caresses, des baisers, des orgasmes ardents.

Je me cale dans ces draps, que j’aime tant. Je jette un dernier coup d’œil à cet environnement, qui dès mes paupières fermées, s’endormira pour laisser place au lendemain. Je me laisse porter par les arômes. Je m’assourdis du silence qui règne. Mon corps se relâche de tout son poids sur le matelas duveteux. Finalement, je m’endors et me dis : « Une image vaut mille mots, alors lecteur, ferme les yeux et dis moi, que vois-tu? Que sens-tu? Qu’entends-tu? ».

Maude Racicot

Commentaires

  1. J'aime beaucoup!
    Mais je crois que tu aurais avantage à séparer tes plus longs billets en deux parties.

    Voilà. :)

    (C'est Amélie via mon blog de complexée par les trop grands auteurs du bac ! :P )

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  2. J'avais aimé. J'avais lu et là je relis.

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